Le Prix 2021, catégorie Jeunesse, de l’APTOM (association des professionnels de La Poste et d’Orange originaires des départements d’Outre Mer) a été décerné le 28 novembre, à l’unanimité du jury à « La baleine aux yeux verts », dans le cadre des 17èmes rencontres de « La Plume Antillaise et d’ailleurs ».
Cet album d’Henry Petitjean Roget, illustré par Rebecca Montsarrat, est publié par Kanjil. C’est un conte des îles des Caraïbes, inspiré de faits réels survenus à la Guadeloupe, accompagné d’une introduction aux cultures précolombiennes et à l’apport amérindien dans la culture créole des petites Antilles.
Mesdames, Monsieur le Président, chers compatriotes
« Man sé moum Matinique, man sé jodi jou an gwadloupeyen, man cé an créwol ».
Je viens d’apprendre l’extraordinaire information. Vous m’avez fait l’honneur de nous accorder un prix. Je dis nous, car est-ce qu’un texte qui se veut transmetteur d’informations, de souvenirs, de on-dit, de traditions orales, aurait été connu, lu, apprécié, sans les qualités d’une éditrice aussi engagée que Lise Bourquin Mercadé ? Fondatrice et directrice des éditions Kanjil, elle a consacré, depuis des décennies, une énergie sans limites à la défense des cultures, des traditions, de l’écriture d’auteurs venus d’Afrique et des Antilles. Maryse Condé, une chère amie de longue date qui avait lu mes textes et qui m’avait fait l’honneur et l’amitié de les aimer, m’avait encouragé à la contacter. Lise connait l’Afrique, elle aime les Antilles. Elle aime ces pays. Elle les ressent. Elle les comprend. Ce sont ces qualités qui m’ont convaincu de lui livrer des textes. Et que dire de l’illustratrice, Rebecca Montsarat ? Ses illustrations accompagnent l’histoire, l’anticipent, elles sont poétiques, lumineuses. Elles sont autant d’incitations à entrer dans le temps du rêve, celui que j’affectionne. J’en suis certain grâce, aux illustrations de Rebecca, vous trouvez la musique des mots, la compréhension du texte avant même qu’il ait été lu.
Vous nous avez fait l’honneur, par le prix que vous nous avez accordé, de reconnaître notre complicité pour la transmission de valeurs anciennes d’une pensée antillaise, de croyances, de traditions venues de mondes qui n’existent plus, qui se sont effacés devant la modernité et la disparition des anciens.
Je dois à mon enfance au Diamant, à la Martinique, d’avoir tiré la senne avec les pêcheurs et d’avoir appris nombre de précautions venues des Callinagos, à respecter avant de partir en mer. Renverser un coui dans un gommier et vous êtes certain que le gommier va couler. Apportez de l’eau à bord fera venir la pluie…J’ai écrit tout cela dans des livres savants. Je dois à mes amis de la cité de Godissard d’avoir pêché la nuit à la lueur des cerbis, un citron dans la poche contre les morsures des bêtes longues. Je dois à ceux de Volga plage d’avoir effectué en toute sécurité, dans les années 62-63, des reportages photographiques sur la création du quartier. J’ai donné tous mes négatifs au musée d’Histoire et d’Ethnographie de la Martinique.
Grâce à Ti Samson, un descendant de Congos, livreur de pain aux maisons de l’anse Cafard au Diamant, j’ai appris à connaître les plantes. Ti Samson chantait encore dans une langue bizarre : la langue de ses ancêtres, m’avait-il dit. Avec mon frère Hughes, quand il était étudiant en Anthropologie à l‘Université de Montréal, nous avions enregistré ses chants. Nous avions donné les bandes magnétiques au département de musicologie de l’Université de Montréal. Elles y sont encore. C’est comme cela, que j’ai su que ces chants ancestraux étaient en lingala, la langue des Congos venus en Guadeloupe et en Martinique après l’abolition. Tout ce que j’ai appris, j’ai le devoir de le transmettre par mes publications scientifiques, par les contes que j’écris, par les conférences que je donne.
Je vous prie de me pardonner d’être si long. Ma passion de raconter est née quand je suis revenu au pays comme professeur de dessin, de musique et de technologie en Martinique, après avoir soutenu ma thèse de doctorat en préhistoire spécialisée dans l’archéologie des petites Antilles. Je n’avais pas trouvé de travail comme chercheur ou comme archéologue, j’avais fait comme nombre de personnes, j’avais intégré l’Éducation Nationale en tant que maître auxiliaire. Alors, tous les mythes amérindiens que j’avais étudiés, je les avais transformés en histoires pour stimuler l’imagination de mes élèves. Je garde de cette époque, bien lointaine, un goût pour l’éducation, l’écriture de contes, la transmission d’éléments culturels.
É cri et cra. Misticri, misticra… La cour dort ? Alors soyez rassurés, votre récompense, m’incite encore plus à poursuivre mon travail d’écriture. Et les éditions Kanjil vont bientôt publier d’autres contes qui, j’en suis certain, vous ramèneront en tan lontan.
Merci encore à vous toutes, à vous tous : grâce à vous, vous entendrez encore parler de moi. Merci.
Henry Petitjean Roget