Peindre comme on chante en marchant

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Allemagne

ROMAN - Adultes et jeunes adultes

Pour Maître Mathis
Colmar, 1512 - Amsterdam, 1599

auteure
Béatrice TANAKA
édition
Lise BOURQUIN MERCADÉ

Écrit en hommage au peintre Mathias Grünewald, ce roman mêle histoire et fiction au cœur de l’Europe de la Réforme.

En quête du Maître d’Issenheim, un homme libre, passionné de peinture, entraine le lecteur en Alsace, en Bavière, en Suisse, en Rhénanie, aux Pays-Bas…

Allons à la rencontre d’Albrecht Dürer, Érasme, Holbein le jeune, Maître Mathis etc., au coeur des événements qui ont bouleversé l’Europe du XVIe siècle : Imprimerie, Bible de Luther, Guerre des paysans, Confession d’Augsbourg...

 
Roman historique ?

Est-ce un roman historique ?

L’évocation d’une époque de violentes mutations, qui rappelle la nôtre ?

Une réflexion sur l’art et le pouvoir, sur le sort des femmes, la discrimination des minorités, la force des images et celle des livres ?

Ou un hymne au théâtre, puisque Hannes  accompagne quelque temps une troupe de baladins italiens dont naîtra la Commedia dell Arte…

En tout cas, ce récit est une histoire d’amour : "celui que je porte depuis plus de cinquante ans au Maître du retable d’Issenheim."

 
Lire un extrait

Amsterdam, 1599

Mon filleul Jan est rentré d’Italie. Comme tous les jeunes peintres, il en a rapporté quantité d’estampes, d’’esquisses et de copies de ce qu’il appelle « des chefs d’oeuvres modernes ». Ses collègues, accourus de tous les coins de la ville, s’extasient sur les oeuvres des peintres italiens, sur leurs effets de clair-obscur et leur technique parfaite pour imiter la chair et les satins.

Ma nièce Marie, la mère de Jan, rajeunie par ce retour tant attendu, s’affaire parmi les convives, veillant à ce que tous aient à boire et à manger, se rengorgeant des éloges qu’ils font de son fils.

– À la santé de mon grand oncle Johannes ! Sans lui, à l’heure qu’il est, je serais probablement un rôtisseur raté ! s’écrie Jan.

Je ne réponds pas. Je me demande si cela n’eût pas été préférable. Et me traite intérieurement de vieillard grincheux.

– À la vôtre, mon oncle ! dit Marie en remplissant mon verre. Quand je pense à toutes vos discussions avec mon brave aubergiste de mari, pour qu’il permette au fils de choisir son métier ! Vous souvenez-vous du soir où le cher défunt a failli casser une assiette sur votre tête ? Son âme doit vous bénir, maintenant que Jan est admis dans la Corporation des Peintres. Vous avez été plus qu’un parrain, plus qu’un parent... Comme vous devez être content et fier, ce soir !

Je trinque avec elle, avec Jan et avec une demi-douzaine d’inconnus hilares. Pourquoi troubler leur joie ? Ils ne comprendraient pas mon désarroi, ma déception. Ce n’est pas que je doute du talent de Jan, la technique de ses copies est parfaite. Non, c’est son admiration pour les oeuvres qu’il a copiées qui me gêne, pour ces acrobaties du pinceau bien léchées. Comme s’il ne saisissait pas le vrai sens du mot « trompe l’’oeil ». Avec toutes ces toiles, toutes ces études et ces dessins qu’il a rapportés, il devait ressembler à un véritable baudet à la fin de son voyage, tant il était chargé. Mais pas un seul croquis du retable qu’il m’avait promis d’aller voir... 
L’âge a du bon : à quatre-vingt-six ans, les gens vous croient toujours quand vous prétextez la fatigue pour vous retirer. Même lorsque vous passez des nuits blanches.

Ce matin, je suis descendu tôt à l’imprimerie.Jan m’attendait devant la porte. 

– Bonjour, mon oncle. Dans l’’euphorie de la fête, hier, j’ai complètement oublié de vous parler de mon passage à Issenheim, dit-il.

– Tu y es donc allé ?

– Bien sûr, puisque vous me l’aviez recommandé. J’y suis même allé avec deux compagnons que j’avais rencontrés chez un maître de Bâle. Mais le portier de la Commanderie de Saint Antoine n’a pas voulu nous laisser entrer, alors qu’il pleuvait à verse. Et le gargotier chez qui nous avons trouvé refuge, n’était jamais entré lui non plus. Tout ce qu’il savait, c’est que, du temps de son grand-père, des pèlerins affluaient par centaines, à cause du retable. Nous étions rudement déçus : nous avions marché pendant presque deux jours avec nos paquetages sur le dos pour le voir ! L’un de mes compagnons, celui qui venait de Prague, était persuadé qu’il s’agissait du chef-d’oeuvre d’un peintre inconnu que l’Empereur Rodolphe avait essayé d’acheter, l’an dernier. Et l’autre disait que, dans son pays, il y avait aussi un retable invisible, avec un nom bien étrange, Notre Dame des Neiges...

Je me sentis soudain glacé :

– Il venait d’Aschaffenburg, ce garçon ?

– Comment le sais-tu ?

D’étonnement, Jan s’était mis à me tutoyer comme lorsqu’il était enfant.

– Parce qu’à Aschaffenburg il y a un retable du même peintre, plus petit que celui d’Issenheim, qui est dédié à Notre Dame du Miracle de la Neige... Et ton collègue de Prague parlait d’un peintre « inconnu » ? 
– « Anonyme », pour employer son expression. D’après son beau-père, qui fournit le cabinet de curiosités de l’’empereur, les peintures d’Issenheim seraient de la main d’un proche d’Albert Dürer, peut-être même une oeuvre de jeunesse de Dürer lui-même...

J’ai de plus en plus froid, malgré le soleil de printemps. En même temps, des souvenirs incongrus m’assaillent : je sens le poids presque palpable d’une vieille pelisse sur mes épaules ; une tête blafarde, couronnée d’épines, se balance sous mes paupières, comme une barque en détresse ; et à chaque mot de Jan, les épines s’enfoncent plus profondément dans mon front.

– Ce peintre s’appelait Mathis, dis-je. Maître Mathis Nithart... Ou Gothart... Il est mort il y a tout juste soixante-dix ans.

Les roues d’une carriole vrillent mes tympans. La poussière qu’elle soulève emplit mes narines, m’aveugle, m’étouffe. Un cercueil, sur la carriole, se soulève à chaque ornière, comme un dormeur secoué par des cauchemars. Mes vieux souliers heurtent les pierres du chemin...

Jan me ramène au présent.

– Pourquoi ne m’as-tu pas dit son nom en me parlant du retable ?

– Maître Mathis était célèbre en son temps et je croyais qu’il l’était toujours. La célébrité fausse parfois le regard : je voulais que tu le voies avec des yeux d’’enfant.

Jan me fixe longuement, pensif.

– Des yeux d’enfant... On ne les a que pour ceux qu’on aime. Je le sais. Quand je suis arrivé à Rome, j’étais si malade que j’ai cru que j’allais mourir. J’ai pensé à ma mère. Et je l’ai vue, si belle, comme lorsque j’étais tout petit... Tu aimes ce Mathis. Tu devrais témoigner pour lui. Témoigner contre l’oubli.

...

J’aurais aimé ne parler que de Maître Mathis, raconter ce que j’avais appris de ceux qui l’ont connu en ses jours de gloire, revivre les moments que j’ai vécu auprès de lui, et décrire les peintures du retable d’Issenheim, son chef d’’œoeuvre qui orienta ma vie.

Or un peintre est toujours un homme façonné par son époque, même lorsque son oeuvre est hors du temps ; et soudain je me rends compte combien le monde - ou plutôt notre façon de le percevoir - a changé en moins d’’un siècle. Les idées et les inventions qui ont bouleversé ma jeunesse semblent aujourd’hui aller de soi pour Jan et ses amis ; des rêves et des évènements qui semblaient annoncer un âge nouveau sont déjà oubliés, quand ils ne sont pas dénigrés. Et mon récit, déjà fragmentaire, serait incompréhensible pour ceux qui n’ont pas connu cette époque lointaine.

Si j’étais historien, j’aurais peut-être une vue d’ensemble des événements de cette période, je saurais expliquer les bouleversements et les orages que l’oeuvre de Maître Mathis semble annoncer... Mais je ne suis pas historien. Et nos chroniqueurs, ayant fort à faire à commenter d’antiques batailles romaines ou à raconter la vie des Grands de ce monde, ont très peu écrit sur le soulèvement des gueux qui embrasa alors le centre du Saint Empire Romain Germanique. D’autant plus que ces gueux furent vaincus, et que l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs...

Et, tout comme ces rêves et cette révolte, Maître Mathis, qui en fut l’un des innombrables héros et victimes, a été enseveli sous une chape de silence.

Alors, pour en témoigner, ne serait-ce que très partiellement, il ne me reste qu’à puiser dans mes souvenirs de jeunesse.

Je m’appelle Johannes Frei et je suis né à Colmar, en l’an de grâce 1512, mais quand j’étais petit on m’appelait Hannes. Mon père, Michel, était menuisier, tout comme son père, Martin, et comme le père et les ancêtres de ma grand-mère Catherine.

Pour mon grand-père, une table était une planche parfaitement lissée, posée sur des pieds solides. Mon père, qui aurait préféré sculpter des chaires et des pupitres d’église, se plaisait à glisser un rinceau par-ci, un fleuron par là... Et c’est son amour des ornements qui nous fit croiser le chemin de Maître Mathis.

L’un des anciens apprentis de Grand-père, Bastian de Guebwiller, avait épousé ma tante Gertrude. Or Guebwiller, situé à une demi-journée de marche de chez nous, est proche d’Issenheim, où la Commanderie de l’Ordre Hospitalier de Saint Antoine s’était établie depuis quatre siècles ; et lorsque, en 1515, le Supérieur de l’Ordre s’aperçut que le flot de livres nouvellement imprimés débordait de sa vieille bibliothèque, conçue pour de beaux et rares manuscrits, il demanda à mon oncle Bastien d’en construire une neuve.

Bastian était un digne élève de grand-père. Ses coffres, bahuts, bancs et tables étaient magnifiques dans leur simplicité, trop simples même, à son avis, trop nus surtout pour un noble seigneur comme le très savant Père Supérieur de la Commanderie de l’Ordre Hospitalier de Saint Antoine d’Issenheim. Il fit donc appel à son beau-frère pour ajouter quelques moulures et corniches à son travail, que mon père livra à Issenheim au début de l’automne.

À son retour il ne cessait de parler des étonnantes peintures, destinées au retable de l’église de la Commanderie, qu’il avait aperçues par une porte entrebâillée.
- Cela suffit ! Depuis que tu radotes à propos de ces peintures, ton marmot se sent carrément encouragé à gribouiller partout ! Hier c’était même sur la nappe qu’on venait de laver... J’en ai par-dessus la tête ! criait Marthe.

Le marmot, c’était moi, et Marthe était ma jeune belle-mère....

 
Synopsys

Amsterdam, 1599

Avant de partir pour l’Italie, le jeune peintre Jan avait promis à son oncle, l’imprimeur Johannes Frei, d’aller voir le retable d’Issenheim. De retour de voyage, il raconte comment il a été empêché d’admirer cette œuvre qui est attribuée à un peintre anonyme. En apprenant que le vieillard connaît le nom du peintre, jadis célèbre, il lui enjoint de « témoigner contre l’oubli ». Ses paroles font écho à celles du grand-père de l’imprimeur, tombé dans l’une des dernières batailles de la Guerre des Paysans, ensevelie sous une chape de silence, elle aussi…

Johannes décide de s’atteler à ce devoir de mémoire. En puisant dans ses souvenirs de jeunesse, en réunissant les informations - souvent contradictoires - de ceux qui ont connu le peintre au temps de sa gloire, et en sachant qu’il n’a pas une vue d’ensemble de l’insurrection dont ce peintre fut l’un des innombrables héros brisés.

Alsace - Allemagne, 1512 – 1525

Né en 1512 à Colmar, le petit Johannes, dit Hannes, est le fils cadet d’un menuisier et le petit-fils d’un serf fuyard venu d’Allemagne. Sa mère française est morte, et sa jeune belle-mère enceinte est énervée par les dessins dont il couvre tout ce qui lui tombe sous la main ; aussi son père, appelé par son travail à Issenheim au début de l’année 1516, y emmène l’enfant pour lui montrer les étonnantes peintures du retable presque achevé. Cette journée infléchira la vie de Hannes, fasciné à jamais par le peintre et par son œuvre : car ayant remarqué les dons de l’enfant, celui que son père appelle Maître Mathis se propose de le prendre comme apprenti dans une huitaine d’années.

Le menuisier amateur de peinture élève son fils en vue de cet apprentissage. Il insiste sur une solide éducation scolaire, à laquelle Hannes échappe assez vite grâce à l’imprimeur Farckall, établi depuis peu de temps à Colmar : la crise économique aidant, celui-ci convainc le père que, pour un futur peintre, le dessin importe plus que le latin. Hannes grandit et s’instruit à l’école de la vie, en lisant, en imprimant, et surtout en écoutant son patron frondeur qui lui ouvre les yeux sur le monde en mutation dans lequel ils vivent.

De l’autre côté du Rhin, la révolte gronde, puis éclate, s’étendant bientôt de Salzbourg à Saverne, de la Saxe à la Suisse. Des moines quittent leurs monastères, des ouvriers et des artisans se joignent aux serfs et aux paysans. Bien que devenu jeune compagnon imprimeur, Hannes est toujours attiré par le retable qui hante même ses rêves ; à la mort de son père, il est prêt à traverser un pays en guerre à pied pour rejoindre « son Maître Mathis ». Mais lorsqu’il entend son grand-père raconter comment sa famille a été réduite au servage par le parjure et la violence des abbés de Kempten, et dire que « lire et écrire, ce sont aussi des armes », il finit par accompagner le vieil homme au siège de Fribourg.

Un garçon de treize ans suit l’étendard des insurgés de la Forêt Noire, de victoires en trahisons et en défaite. Grâce à son ami Anselme, ancien étudiant et franciscain défroqué, il se reconnaît dans les revendications des Douze Articles étayés sur l’Evangile récemment traduit par Luther, découvre la misère physique et spirituelle des paysans et le danger résultant de l’absence d’un commandement unique. Il assiste impuissant au désespoir d’Anselme lors de la volte-face de Luther et de la fin tragique de Thomas Müntzer, qui présage la fin de la révolte. Il voit l’insurrection écrasée, le carnage des batailles, les exécutions sommaires. Grièvement blessé, il manque d’être achevé par un soldat qui n’est autre que son cousin. Il est recueilli et soigné par un médecin juif qui lui trouve du travail à Bâle ; et apprend par sa fille – qui lui offre les vêtements de son fils mort – qu’on est tous « des fils d’Adam ».

Bâle – Allemagne – Pays-Bas, 1526 – 1531

Après avoir travaillé plus d’un an chez un imprimeur bâlois, Hannes a pu acquérir une couverture, de bonnes chaussures et un peu d’argent. Une musette pleine de dessins sur l’épaule, il prend enfin le bateau pour Mayence.

Mais Maître Mathis, soupçonné d’’avoir pris le parti des paysans et tombé en disgrâce, ne s’’y trouve plus. Même son nom a disparu du registre des peintures appartenant à son ancien mécène, le Prince Cardinal débauché Albrecht de Brandebourg. Commence alors pour Hannes une longue quête à travers un pays dévasté par une répression impitoyable.

Il rencontre des hommes et des femmes qui ont connu Mathis, amis, faux amis, admirateurs ou vagues connaissances ; et au fur et à mesure de ces rencontres, l’’image de l’’homme qu’’il cherche se brouille de plus en plus : s’’appelle-t-il Mathis Nithart ou Gothart ? Est-il peintre, ingénieur, fabricant de savon ? Sa femme était-elle folle, ou juive, ou les deux ? L’’enfant confié en apprentissage à un ami est-il son fils adoptif ou son fils adultérin, né de sa liaison avec une jeune Alsacienne ? La seule chose dont il est sûr, c’’est qu’il s’agit d’’un homme renfermé et mélancolique : « Un maître plutôt étrange pour un jeune apprenti », lui dit Albrecht Dürer qui - tout en lui conseillant de partir pour l’’Italie où « un artiste n’’est pas traité en parasite, mais honoré comme un gentilhomme » - finit par l’’aider à retrouver le peintre qu’’il admire… Et qui ne peint plus, mais gagne péniblement sa vie en s’’occupant des canalisations des mines de sel de la petite ville de Halle.

Pendant près de huit mois, Hannes partage sa chambre et sa vie, le soigne lorsqu’’il tombe malade avec une forte fièvre, conserve le souvenir de chacune de ses rares paroles comme un trésor. Peu à peu, le dévouement du « petit garçon d’’Issenheim » finit par faire fondre la carapace de désespoir de l’’homme qui ne l’’a retenu à Halle que pour lui épargner les routes glacées de l’’hiver. Tout en travaillant dans une ébénisterie, Hannes commence son apprentissage auprès du Maître qu’’il s’’est choisi ; mieux encore, celui-ci se remet à peindre.… Et meurt avant d’’avoir achevé sa dernière Crucifixion, en août 1528.

Après avoir assisté à la vente à l’’encan des maigres biens de cet homme déchiré - un courtisan anobli qui a pris le parti des gueux, un peintre de saints fasciné par Luther… - après avoir vu des dessins de Mathis chez Hans Grimmer - peintre médiocre et ancien apprenti du Maître - et appris de sa bouche la mort de Dürer, Hannes abandonne son rêve de devenir peintre. Tout comme il abandonne celui de partir pour le Nouveau Monde avec son ami juif, Yossi, dont la vie est marquée, elle aussi, par une rencontre avec Maître Mathis.

Son errance s’arrête aux Pays-Bas où il est rejoint par sa jeune demi-sœoeur, la fantasque Lisa, la future grand-mère de Jan. Et tout en sachant qu’il ne sera jamais un « vrai peintre », Hannes l’’imprimeur peint. Il peint « comme on chante en marchant par une nuit de tempête, et tant pis si l’’orage emporte notre petite chanson »…

 
Caractéristiques
Pages320
Couverturesouple
EAN9782016046129

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